30 Juin 2024
Ça y est, nous y sommes. Le carnet de pêche numérique arrive à grand pas. Sur décision de l'Union Européenne, les pêcheurs de loisir devront bientôt déclarer leurs prises. Je vous explique pourquoi et comment.
La déclaration des prises est une mesure engagée par l'Union Européenne visant à mieux évaluer (et contrôler) l'étendue des prélèvements de poissons par les pêcheurs de loisir.
L'UE entend ainsi intégrer pleinement les prélèvements de la pêche de loisir à la politique commune des pêches (PCP) qui régit la gestion des stocks de poissons et encadre la pratique de la pêche (surtout la pêche commerciale). La vocation théorique de la PCP est d'assurer une pêche durable en régulant les prélèvements pour mettre fin à la surpêche.
La lecture du règlement (bien que fastidieuse) est très claire. L'UE prône le contrôle et la régulation de la pêche de loisir pour assurer le respect de ses objectifs. On comprend très vite que les pêcheurs de loisir vont à terme être soumis à des quotas de pêche.
Les États membres veillent à ce que les activités de pêche récréative exercées sur leur territoire et dans les eaux de l'Union soient menées selon des modalités compatibles avec les objectifs et les règles de la politique commune de la pêche.
À cette fin, les États membres côtiers disposent d'un système électronique pour l'enregistrement et la déclaration des captures provenant de la pêche récréative.
Les États membres côtiers veillent à ce que les personnes physiques exerçant des activités de pêche récréative soient enregistrées et à ce qu'elles consignent et communiquent les données concernant leurs captures au moyen d'un système électronique.
L'entrée en vigueur de la déclaration numérique est prévue au plus tard 48 mois après la publication du règlement, donc d'ici 2028.
Évidemment, aucun pêcheur ne voit d'un très bon œil le déploiement de mesures de surveillance. Néanmoins, en prenant un peu de recul on doit admettre que l'impact des pêcheurs de loisir sur le cheptel de poissons est inconnue avec précision à ce jour. Nos prélèvements sont seulement estimés sur la base de données très approximatives donc contestables et potentiellement à charge contre la pêche de loisir.
Outre le fait que la déclaration devienne obligatoire, qu'on le veuille ou non, nous devons prendre conscience qu'un manque de données concernant notre activité n'est ni normal, ni en notre faveur pour que puisse perdurer notre passion.
Le simple fait que l'on ne connaisse pas le nombre de pêcheurs de loisir en mer (du bord et en bateau) pose déjà question.
En eau douce, il existe un recensement au travers de la carte de pêche (le permis) mais pas sur la côte française. Or, sans recensement, nous n'existons pas sur le plan administratif. Il est alors facile de surévaluer notre nombre pour s'attaquer à nos libertés... elles le sont d’ailleurs de toutes parts depuis quelques années par des minorités très bien organisées.
L'enregistrement électronique des pêcheurs, réclamé par l'UE, est un moyen de mettre en œuvre un recensement sans imposer le déploiement d'un permis payant.
Je ne prétends pas que notre enregistrement va obligatoirement s'accompagner de droits supplémentaires (ne rêvons pas trop) mais il peut au moins participer à contenir l’érosion des libertés qu'il nous reste, moyennant quelques sacrifices.
Et si toutefois l'idée d'être enregistré vous révolte alors dites-vous qu'au moins il s'agit d'une démarche gratuite (en tout cas pour l'instant).
Nous ne pouvons pas clamer éternellement avoir un impact faible sur la ressource sans jamais en apporter la preuve. Il fallait bien s'attendre tôt ou tard à devoir rendre des comptes, comme le font déjà les professionnels avec qui nous partageons les bancs de poissons.
Même si l'idée de devoir déclarer chaque prise prélevée ne me réjouit pas beaucoup, je ne vois pas d'autre solution pour que notre pratique soit correctement comptabilisée et encadrée. Les abus perpétrés par quelques individus jettent le discrédit sur notre passion et mettent en danger notre droit à pêcher. Il est temps de clarifier la situation en démontrant par les chiffres que les pêcheurs de loisir ne sont pas responsables du pillage dont on les accuse trop souvent.
En cela, les enregistrements de nos prélèvements pourraient servir à confirmer que notre pratique a un impact dérisoire sur la ressource, ce malgré un nombre important de pratiquants. Auquel cas tout ira bien, la pêche de loisir aura prouvé s'inscrire d'ores et déjà dans une démarche durable qui ne nécessite pas de mesure contraignante de régulation.
Dans le cas contraire, si les chiffres de nos captures révèlent un impact significatif sur la ressource alors c'est qu'il est grand temps d'en prendre conscience et de contribuer nous aussi à l'effort de préservation et de reconstruction des stocks de poissons.
Le problème que j'entrevoie ici est que les dés me paraissent déjà pipés. L'UE semble avoir déjà jugé notre impact sur les prélèvements comme "significatif" avant même que les délcarations aient démarrées. Lisez par vous-même :
Compte tenu des incidences significatives de la pêche récréative sur certains stocks, il est nécessaire d'établir des dispositions spécifiques permettant un contrôle efficace de la pêche récréative par les États membres, y compris un régime de sanctions approprié en cas de non-respect.
La collecte de données fiables sur les captures provenant de certaines pêcheries récréatives est nécessaire pour fournir aux États membres et à la Commission les informations nécessaires pour une gestion et un contrôle efficaces des ressources biologiques de la mer.
Je ne sais pas quelles espèces se cachent derrière le terme "certains stocks", peut-être s'agit-il essentiellement de poissons pélagiques, peut-être que la dorade royale et le loup sont aussi concernés. A ce stade, je n'en sais pas plus mais je reste méfiant quant aux réelles intentions de l'UE.
Personne n'est dupe, le seul but de la déclaration obligatoire est de justifier l'instauration progressif de quotas pour les pêcheurs de loisir. Que les chiffres révèlent leur légitimité ou leur inutilité n'a dans le fond aucune importance pour l'UE, seul compte la démarche idéologique : elle veut des quotas et elle les obtiendra.
Nous allons indéniablement finir par devoir respecter des limites de captures (quotas) et peut-être des mesures de repos biologique (périodes de fermetures).
L'instauration de quotas ne m'enchante pas du tout car j'anticipe déjà la mise en place de quotas journaliers que je trouve insuffisants, frustrants et inéquitables.
Pour encadrer avec logique l'impact des pêcheurs sur la ressource, il faudrait obligatoirement réfléchir sur une année complète de pêche pour davantage d'équité et de cohérence. Les quotas doivent aussi s'adapter aux périodes de reproduction. Ainsi, un quota mensuel ou hebdomadaire variable selon la saison serait à mon sens plus malin pour assurer une bonne gestion de la ressource. Ce format serait également plus intéressant pour les pêcheurs, j'en reparle à la fin de l'article.
Toute la procédure d’enregistrement du pêcheur et de déclaration des prises se passent sur smartphone via l’application CatchMachine.
Après création d’un profil utilisateur, l’application vous invite à remplir un questionnaire rapide sur votre pratique de la pêche puis vous permet de :
L'application est simple d'utilisation et plutôt instinctive (mais pleine de défauts, je reviens dessus juste après). Vous pourrez trouver le guide de l'utilisateur à l'adresse suivante :
Il est nécessaire que l'application évolue rapidement car il est impensable de vouloir s'appuyer dessus en l'état, elle est pleine de bugs !
Deux soucis insupportables m'ont fait abandonner mon essai de l'application :
1) Elle ne tient pas compte du nombre de prises de même espèce. Quel que soit la quantité saisie, l'application ne retient qu'une seule prise par déclaration. Il faut donc saisir chaque prise une par une, cela prend un temps épouvantable.
2) Il est possible d’enregistrer un brouillon de déclaration des prises pour le corriger/finaliser plus tard, mais ces brouillons sont irrécupérables ! Ils disparaissent de l'application (sur iOS en tout cas).
D'autres absurdités sont à relever comme le fait que le département des Pyrénées Orientales ne figure pas dans la liste alors qu'il est le premier concerné intégralement par l'obligation de s'enregistrer sur l'application.
Pour l’instant (2024), la déclaration numérique des captures n’est obligatoire que dans quelques aires marines protégées (le parc national des calanques l'impose déjà par exemple). Néanmoins, vous pouvez dès à présent déclarer vos prises pour contribuer à la collecte de données scientifiques si le cœur vous en dit.
Demain (d'ici 2028), la déclaration deviendra obligatoire pour tous et sur tout le territoire. Vous serez tenus de remplir votre carnet de pêche numérique et de le présenter en cas de contrôle.
Le passage progressif d'une utilisation volontaire à une utilisation obligatoire qui précède des mesures de contraintes est un schéma bien rodé de l'UE. Si l’on suit la même logique, après l’obligation de déclaration viendront des quotas puis leur durcissement au fil du temps.
Le principe de quota journalier me déplait particulièrement car je le trouve désuet, maladroit et à contrecourant d’une gestion de la ressource au moyen d'outils numériques.
Le carnet de pêche numérique permet d’envisager un système de quotas plus équitable entre les pêcheurs et plus respectueux de la ressource.
Le quota journalier est une pratique de très longue date qui offre un cadre de contrôle des prélèvements alors qu'il n'existait aucune méthode de déclaration. Les autorités contrôlent les prises d'un pêcheur sur l'instant, sans autre considération.
La régulation des prélèvements est donc très imprécise et ne permet pas de gérer correctement le stock de poissons puisqu’on ignore tout de l’impact du pêcheur sur l’année. Dès lors, le principe de quota journalier introduit une situation inéquitable entre les pêcheurs.
Le système de quota journalier est remis à 0 tous les jours, sans aucune prise en compte de l'historique des prélèvements des jours précédents.
Il n'est donc pas équitable entre les individus puisqu'il favorise les pêcheurs ayant le plus souvent l’occasion de se rendre à la pêche en omettant leur impact réel sur la ressource. Plus je sors pêcher et plus le nombre de prises que je peux prélever sur une année entière augmente.
Corolaire de cette situation, les pêcheurs qui pratiquent le plus accumulent davantage d'expérience et de compétence que les autres, les rendant plus habiles à la pêche. Leur taux de réussite est généralement meilleur, donc leur impact sur les prélèvements est bien plus important : ils pêchent souvent et capturent davantage de prises en moyenne par sortie.
Scénario d'exemple : comparons deux pêcheurs en bord de mer de la région de Perpignan qui sont soumis aux quotas journaliers du parc naturel marin de Golfe du Lion : 10 poissons par jour dont 3 dorades au maximum.
Vincent habite sur la côte, il pêche la dorade tous les matins sur la digue à 10min de vélo de chez lui.
En pleine saison, son quota journalier de 3 dorades est souvent atteint en moins de 2h, mais ce n'est pas grave car il est remis à 0 le lendemain. De plus, rentrer tôt à la maison lui permet de pratiquer une autre pêche plus tard dans la journée (maquereau en bateau, loup au leurre, etc).
Chaque semaine de la saison, Vincent a ramené entre 10 et 20 dorades royales sur un quota total de 21 (7 jours à 3 dorades/jour), sans compter ses quelques loups et maquereaux.
Maxime habite dans les terres, trop loin de la côte pour pêcher en semaine lorsqu'il travaille. Il ne lui reste finalement qu'une option de sortie le samedi, si la météo est clémente. La logistique (trajet et installation du matériel) représente pour lui 1h30 à l'aller et la même chose au retour.
Un bon jour, Maxime atteint son quota de 3 dorades dès la première heure de pêche. Partagé entre satisfaction et frustration, il doit déjà se résigner à relâcher toutes les autres dorades qu'il attrape et ne peut s'empêcher de faire le compte dans sa tête : il en a pour 3h de logistique aller-retour ainsi que 50 à 60€ dépensés en appâts et carburant mais sa partie de pêche a déjà perdu tout intérêt en seulement 1h.
Plus absurde encore, pour avoir un compte de 5 dorades pour son repas du lendemain en famille, il devra acheter 2 dorades chez le poissonnier pour compléter sa pêche... lui qui a été contraint de relâcher les mêmes poissons (un comble).
L'impact de Maxime sur la ressource n'aurait été que de 5 poissons s'il en avait eu le droit mais il est puni par le quota journalier d'habiter "trop" loin de la mer et de travailler en semaine, quelle ironie.
Ce scénario d'exemple peut vous sembler caricatural mais il reflète exactement ce que vont vivre beaucoup de pêcheurs si les quotas journaliers sont très bas : une énorme frustration par manque d'équité qui va tôt ou tard se transformer en désintérêt pour la pêche ou en volonté de contourner le système...
Si les quotas journaliers s'avèrent trop bas pour permettre de profiter pleinement de sa passion, alors la triche va massivement se développer pour contourner les règles.
Les comportements des pêcheurs amateurs vont imiter ceux des professionnels qui cherchent à s’affranchir des quotas.
Tels les chalutiers industriels qui pratiquent le rejet, le pêcheur de loisir rejettera des poissons morts pour conserver à la place des prises plus grosses ou plus nobles. Un gâchis écologique qui découle d'un règlement mal pensé.
Tel le professionnel qui n'a pas de quota sur une espèce mais la pêche sans déclarer les prises, certains pêcheurs amateurs vont prendre le risque de cacher des prises.
D'autres systèmes de triches vont s'observer. Il existe par exemple un moyen simple d'abuser du système pour doubler ou tripler son quota... Je ne vais pas le révéler ouvertement ici mais j'imagine que tout le monde a déjà pensé à la même chose.
Pour ces raisons, un quota mensuel ou hebdomadaire me semble représenter une mesure plus constructive et équitable.
Si l'on reprend l'exemple précédent, plutôt que de distribuer un quota de 3 dorades par jour, je proposerais un quota hebdomadaire d'une dizaine de dorades par semaine, à ajuster selon les stocks et la période de l'année.
Sur une semaine complète, l’impact potentiel de chaque pêcheur est divisé par deux mais il peut choisir de consommer son quota en une seule fois. On rétablit un peu une équité en évitant de privilégier les pêcheurs qui ont déjà la chance de pouvoir pratiquer leur passion plus souvent que les autres. Vincent prélèvera moins et Maxime pourra profiter d’un repas en famille sans devoir acheter chez le poissonnier les prises qu’il était obligé de relâcher.
En poussant la réflexion un peu plus loin, on peut également se dire que le nombre de poissons gâchés, car morts après avoir été relâchés, sera aussi plus faible. D'une part Maxime sera un peu moins forcé de relâcher des prises et moins tenté de rejeter un poisson mort pour en garder un plus gros à la place. D'autre part Vincent s’abstiendra de pêcher tous les jours la dorade et apprendra à viser une autre espèce dès qu'il n'a plus de quota sur la dorade. Ne t'en fais pas Vincent, tes compteurs seront remis à 0 la semaine suivante.
Le partage de la ressource doit s'établir sur une base d'équité et non pas favoriser les plus disponibles ou ceux qui jouissent d'un logement en bord de mer.