19 Février 2024
Chapitre 1 | Je vous propose d'explorer la mécanique du moulinet en démarrant par son coeur : l'engrenage principal, afin de mieux comprendre son fonctionnement ainsi que ses différentes déclinaisons.
Bonjour à tous,
Voilà plusieurs mois que je travaille sur un dossier (une série d'articles) approfondi traitant de la mécanique du moulinet. Parfois prétendu aussi subtil que celui d'une horloge, le mécanisme du moulinet est en réalité très simple à comprendre pour qui prend le temps de l'observer avec attention.
Ce premier article de la série explore l'engrenage principal du moulinet, celui que vous actionnez en tournant la manivelle. Nous allons voir comment il est réalisé et comment il a évolué pour améliorer le confort du pêcheur.
(Les prochains articles suivront dans quelques jours)
Aussi surprenant soit-il, cela fait plus de 50 ans que le principe de fonctionnement des moulinets à tambour fixe n'a pas radicalement changé. Certes, plusieurs évolutions fonctionnelles sont apparues au fil du temps (heureusement) mais aucune d'entre elles n'a révolutionné la mécanique des moulinets de manière fondamentale.
Aujourd'hui, le mécanisme du moulinet se comporte toujours de la manière suivante :
Si le principe général n'a pas changé, la mécanique a tout de même évolué depuis les années 70 pour offrir un plus haut niveau de confort à l'utilisateur. La forme des engrenages, leur disposition et leur composition se sont modernisées pour achever les objectifs suivants :
Nous allons voir en détail les organes principaux du moulinet dans la suite de l'article et comment ceux-ci ont évolué pour offrir plus de confort et de performance au pêcheur.
L'engrenage principal ("main gear" en anglais) est celui qui transmet le mouvement (et la puissance) de la manivelle vers le rotor pour enrouler le fil. Il est composé de la roue de commande et du pignon.
Sur la très grande majorité des moulinets modernes à tambour fixe, la roue possède une denture latérale placée sur une face et non pas sur son pourtour (on parle de "roue de champ" ou de "crown gear"). Cette disposition facilite le renvoi d'angle à 90° vers le pignon et limite l'encombrement (le pignon étant placé derrière la roue, le bâti du moulinet gagne de la place en hauteur).
La forme générale de la denture et du pignon dépendent du modèle d'engrenage. Selon l'année de fabrication et la marque du moulinet, on pourra trouver des engrenages plus ou moins évolués (nous reviendrons là dessus).
Les moulinets les plus anciens étaient autrefois conçus avec des engrenages à denture droite. Simple et économique, la denture droite se montre néanmoins bruyante et génère des vibrations que l'on perçoit dans la manivelle (le mécanisme du moulinet grogne ou ronronne) car la continuité de l'engrènement laisse à désirer. La pression étant concentrée sur une ou deux dents à la fois seulement, un petit choc ou une vibration se fait sentir lorsque la pression change de dent (d'où son bruit caractéristique).
Pour améliorer la transmission d'énergie et atténuer les vibrations, les fabricants de moulinets se sont tournés vers les engrenages à denture hélicoïdale. Ce type d'engrenage arbore des dents taillées en hélice (forme tournante) qui offrent une meilleure continuité de l'engrènement et un contact permanent sur plusieurs dents à la fois. Cela se traduit à l'usage par une plus grande douceur dans la manivelle et un fonctionnement silencieux.
Le degré d'inclinaison de la denture hélicoïdale peut être plus ou moins prononcé. Lorsqu'elle est fortement inclinée, la denture hélicoïdale ressemble à une vis à plusieurs filets.
Au fil des années, l'engrenage principal a évolué pour accroitre le confort de l'utilisateur et rendre le moulinet plus pratique. Certains modèles d'engrenage ont quasiment disparu du marché en dépit de leur qualité intrinsèque.
Je vous propose ici une vue d'ensemble des engrenages les plus représentés sur les moulinets de grande taille utilisés en surfcasting.
Les moulinets modernes renferment en majorité un engrenage que l'on désigne par le terme "hypoïde". Il s'agit d'un modèle particulier d'engrenage qui appartient à la grande famille des engrenages gauches dont les axes sont ni parallèles ni concourants. Pour faire simple, les axes de la roue et du pignon ne se situent pas sur le même plan et n'entrent donc pas en intersection (l'un passe au dessus de l'autre).
L'intérêt majeur d'un engrenage au pignon décalé est la possibilité d'obtenir un arbre traversant la roue de commande pour visser la manivelle à droite ou à gauche du bâti du moulinet.
Ce modèle d'engrenage offre une transmission très douce et silencieuse. Le contact entre les dentures est un peu plus important que sur les engrenages coniques mais s'établit davantage par glissement. Une lubrification appropriée de l'engrenage est requise pour limiter les risques d'usure prématurée.
L'engrenage hypoïde convient parfaitement à la majorité des conditions de pêche à la ligne, hormis peut-être la pêche au (très) gros où des engrenages plus robustes pourront éventuellement être requis.
L'engrenage conique ("bevel gear" en anglais) a longtemps dominé le marché des moulinets pour sa robustesse et la facilité avec laquelle il permet le renvoi d'angle de 90°.
D'abord fabriqués avec des dentures droites qui le faisaient ronronner, l'engrenage conique a ensuite évolué pour se doter de dents incurvées ou spiralées qui rendent la transmission plus douce et quasiment silencieuse.
Si ses qualités mécaniques sont indéniables, le côté pratique est en revanche son plus gros point faible dans un moulinet. En effet, sur l'engrenage conique l'axe de la bobine et celui de la roue entrent en intersection (ils sont concourants). Aucun arbre ne peut donc traverser la roue de commande dans ces conditions : le moulinet doit obligatoirement être conçu pour droitier ou pour gaucher et on ne peut pas inverser la manivelle. Exemple ci-dessous avec la photo d'un Mitchell 498.
Cet inconvénient majeur est à l'origine de son abandon progressif par les fabricants à partir des années 80. On ne trouve plus aujourd'hui que de très rares modèles de moulinets modernes à engrenage conique.
Un dernier format d'engrenage intéressant mérite une mention bien qu'il soit très rare : l'engrenage à roue et vis sans fin.
Sur celui-ci, le pignon prend la forme d'une vis sans fin tangente à la roue de commande. Les dentures hélicoïdales de la roue de commande sont placées sur son pourtour et viennent chevaucher les filets de la vis.
La transmission du mouvement y est particulièrement douce et silencieuse car elle s'opère par glissement continu, sans aucun à-coup. Cependant, la quantité élevée de frottements entraîne une forte baisse de rendement sur l'engrenage : une partie significative de l'énergie insufflée dans la manivelle est perdue par friction.
Les engrenages à roue et vis sans fin autorisent sans difficulté le montage de la manivelle en position droite ou gauche mais peuvent se révéler plus encombrant dans le bâti que les autres engrenages, surtout en hauteur.
Vous pouvez voir un exemple de moulinet équipé de ce type d'engrenage chez un grand spécialiste de la mécanique des moulinets, Alan Hawk. La vidéo suivante de la chaine Youtube "Moulinets" présente aussi un moulinet à roue et vis sans fin.
Bien qu'il ne soit pas primordial de comprendre le procédé de fabrication ni l'implication des matériaux utilisés dans la production des engrenages, un peu de culture générale sur le sujet est toujours la bienvenue.
Plusieurs alliages différents sont couramment employés dans la fabrication des engrenages de moulinets modernes :
Selon les contraintes mécaniques auxquelles se destine le moulinet, le fabricant pourra choisir un alliage plutôt qu'un autre et associer des organes (pièces) composés d'alliages différents pour obtenir un bon compromis entre poids, solidité et douceur de fonctionnement. En effet, les coefficients de frottement changent selon les couples de matériaux. Une association judicieuse de matériaux permet de favoriser le glissement des pièces en limitant leur usure. Exemple courant : une roue de commande en aluminium et un pignon en laiton.
La grande majorité des moulinets de surfcasting emploient aujourd'hui des roues de commande en alliages d'aluminium. Ce métal omniprésent dans notre vie quotidienne offre l'avantage d'être léger, économique, peu sensible à la corrosion et très facile à travailler (à mouler ou à usiner).
Le travail sur la géométrie des pièces, notamment la forme des dentures, permet d'utiliser sereinement l'aluminium dans les engrenages des moulinets sans craindre d'usure prématurée. L'aluminium a ainsi progressivement remplacé les alliages de zinc comme le zamak autrefois courant jusque dans les années 90 (environ).
Le laiton est un alliage plus dur que l'aluminium mais moins que le bronze et moins encore que l'acier. Il est donc plus volontiers utilisé pour la fabrication de pièces où la surface de contact est élevée de sorte à répartir l'effort sur plusieurs dents à la fois afin d'éviter une usure prématurée. Le laiton est par ailleurs facile à usiner et à polir, ce qui en fait un matériau intéressant pour produire des pièces de précision exposées à des contacts par glissements.
Le laiton est communément employé pour fabriquer le pignon à denture hélicoïdale des moulinets de surfcasting.
Le bronze possède des propriétés globalement proches du laiton si ce n'est qu'il est plus dur. Le bronze est donc plus difficile à travailler et son usage est un peu plus marginal que le laiton. On retrouve le bronze sur des moulinets destinés à des contraintes fortes comme certains moulinets de spinning lourd. Sur les produits de surfcasting, il est plus probable de trouver du laiton et non du bronze.
L'acier inox est le matériau le plus robuste mais aussi le plus coûteux, notamment parce que son travail est difficile. Forger ou tailler de l'inox demande plus d'efforts et de moyens que de travailler du laiton ou de l'aluminium. Il y a très peu de chance qu'un moulinet de surfcasting soit construit avec des organes d'engrenage en inox car les contraintes auxquelles il est destiné ne justifient pas un tel surcoût. On trouve plutôt des organes en inox sur des moulinets lourds (spinning lourd et big game).
Il existe plusieurs manière de façonner les engrenages. Selon les matériaux, la forme des pièces, le niveau de précision requis et le coût, les fabricants peuvent décider d'utiliser l'une ou l'autre :
Le moulage en fonderie est la manière la plus simple de réaliser des pièces métalliques en grande série et à moindre coût. Le métal est chauffé jusqu'à entrer en fusion puis est injecté dans un moule. L'injection sous pression de type diescasting (ou die-casting) est la méthode la plus couramment employée pour la réalisation de pièces de moulinet en aluminium ou en alliage de zinc (ex: zamak) car elle augmente la précision des pièces et la productivité de la forge.
Les pièces produites ainsi ne sont toutefois pas d'une extrême précision ni d'une grande robustesse en comparaison de pièces forgées mais elles sont très rapides et économiques à produire. Les engrenages moulés sont couramment choisis pour assembler des moulinets d'entrée de gamme en raison de leur coût de revient très bas.
Le taillage (usinage) des engrenages par machine à commande numérique donne des pièces d'un très haut niveau de précision mais plus fragiles que les pièces forgées. Le procédé d'usinage ne fait que découper le métal, il ne permet pas de renforcer sa structure comme dans le cas du forgeage ni d'obtenir une finition parfaitement lisse des dentures.
Le forgeage à froid est sans doute la méthode la plus complexe à mettre en œuvre mais permet de produire en série des pièces de très grande précision, parfaitement lisses et de grande dureté. La densité du métal forgé est bien supérieure à celle que l’on obtient par moulage et sa structure est aussi renforcée par écrouissage. Beaucoup de métaux peuvent être forgés à froid, à l'exception sans doute d'alliages très durs comme des aciers à haute teneur en carbone.
Ces annexes ne s'adresse qu'aux plus curieux d'entre vous, ceux qui comme moi aiment explorer un peu la physique et les mathématiques qui entourent notre pratique de la pêche. Justement, le moulinet se prête très bien à cette exploration.
Le mécanisme du moulinet est un assemblage simple d'engrenages qui forment une transmission, c'est à dire une composition mécanique qui achemine (transmet) l'énergie et le mouvement en réalisant au passage des opérations tel que le changement d'angle ou la conversion de vitesse et de couple.
Sur le moulinet, on observe à la fois un renvoie d'angle et une conversion de vitesse :
Les opérations sont réalisées en jouant sur la taille et la forme des pièces (les organes) qui composent le mécanisme.
Pour bien comprendre la suite des annexes, il convient de poser un peu de vocabulaire utile :
Dans l'engrenage principal du moulinet, la roue de commande est l'organe menant, le pignon est l'organe mené.
Il y a trois notions à connaître quand on s'intéresse au fonctionnement d'une transmission :
Ces notions étroitement liées les unes aux autres permettent d'anticiper les conséquences des opérations de conversion et de les calculer pour atteindre l'objectif fixé à savoir réduire ou augmenter la vitesse ou le couple.
Au risque de commettre quelques erreurs de lexique, je vais tenter de vulgariser ces trois notions pour vous permettre de comprendre ce qu'elles signifient.
La vitesse de rotation désigne le nombre de tours que réalise une pièce par rapport au temps. On l'exprime habituellement en tours/s ou en tours/min.
Le couple (torque) représente l'ensemble des forces qui permettent d'initier le mouvement de rotation. C'est en quelque sorte l'intensité de l'effort qui est fourni pour réaliser la rotation et accélérer. Plus le couple est élevé, plus il est facile de surmonter les contraintes qui s'opposent à la rotation.
La puissance représente la quantité d'énergie transférée par un premier système à un second sur un intervalle de temps. La puissance est le produit du couple par la vitesse de rotation :
Puissance = Couple x Vitesserotation
Sur un moulinet, la puissance est insufflée dans le mécanisme par la main du pêcheur qui tourne la manivelle. Elle est ensuite transmise d'un axe à un autre par les engrenages.
L'un des principaux intérêt d'un engrenage est la possibilité de transmettre l'énergie (la puissance) en convertissant le couple et la vitesse de rotation dans le but de réaliser une tâche plus vite ou bien plus lentement mais avec plus d'aisance.
Chaque conversion de vitesse entraîne une conversion inversement proportionnelle de couple qui maintient la valeur de puissance à égalité dans le mécanisme (ou presque, car une notion de rendement est à considérer) :
Selon l'usage auquel est destiné le mécanisme, on va privilégier le couple au détriment de la vitesse de rotation ou bien la vitesse de rotation au détriment du couple :
Les conversions de couple et de vitesse de rotation sont réalisées en jouant sur le rapport de taille entre l'organe menant et l'organe mené ainsi que sur la manière de transmettre le mouvement de l'un à l'autre.
Lorsque le pignon est menant et la roue menée alors la vitesse de rotation est abaissée en sortie d'engrenage et le couple est augmenté. En effet, quand le pignon réalise un tour complet, la roue qui possède un plus grand nombre de dents n'en a pas encore terminé un, sa vitesse de rotation a donc diminué (dans le même temps, elle a réalisé un nombre inférieur de tours).
L'engrenage principal du moulinet fonctionne de manière inverse : la roue est menante et le pignon est mené. Dans cette configuration, un tour de roue entraîne plus d'un tour de pignon, l'engrenage augmente donc la vitesse de rotation (et abaisse le couple).
Pour combiner/additionner les opérations de conversion, on place plusieurs roues de tailles différentes sur un arbre de sorte qu'elles tournent sur le même axe avec la même vitesse de rotation mais en déplaçant un nombre de dents différent (en fonction de leur circonférence respective).
La manivelle est le premier élément du mécanisme qui réalise une conversion de couple et de vitesse. Elle agit comme bras de levier sur la roue de commande et accroît ainsi le couple exercé par la main du pêcheur. Le gain de couple ainsi obtenu participe au confort d'utilisation du mécanisme.
Plus la manivelle est longue, plus le pêcheur aura d'aisance à mettre en mouvement le mécanisme mais plus sa main devra parcourir de distance pour réaliser un tour (ce qui dans la pratique se traduit par une vitesse de rotation plus basse).
Les fabricants de moulinets s'efforcent de conserver une certaine cohérence dans la longueur de la manivelle : Trop petite, elle pénalise le couple et donc la sensation de souplesse du mécanisme. Trop longue, vous perdrez du temps à brasser de l'air. Pour cette raison, la longueur de la manivelle est proportionnelle à la taille du moulinet et de son mécanisme.
Un engrenage transmet le mouvement et la puissance d'une pièce à l'autre.
Si la transmission était parfaite (sans perte), on récupérerait exactement la même puissance en sortie d'engrenage qu'en entrée. Dans la pratique, la transmission de puissance souffre toujours d'une perte causée par les frottements des dentures.
Le rapport entre la puissance restituée en sortie d'engrenage et la puissance injectée en entrée s'appelle le Rendement.
Rendement = Puissancesortie / Puissanceentrée
Le coefficient de rendement d'un engrenage permet de connaître le niveau d'efficacité avec lequel il transmet la puissance. Sa valeur dépend du type d'engrenage et de la forme des dentures.
Sur un engrenage à roues dentées, le rendement excède couramment 95% ce qui est considéré comme très bon. Certains modèles d'engrenages peuvent avoir des rendements beaucoup plus bas, de l'énergie étant alors perdue en chaleur causée par d'importants frottements ou glissement lors de la transmission entre les organes.